À peine une semaine avant la rentrée, alors que j’ai repris le chemin de l’école afin de la préparer, je croise une femme à l’entrée d’un centre commercial. Elle me regarde avec insistance, puis me sourit. Un sourire forcé, qui ne me semble pas naturel, pas de ceux que vous lancez aux gens que vous rencontrez simplement. Elle me sourit comme si elle me connaissait, et la crispation de ce dernier semble accréditer ma thèse.Elle s’approche et me salue. Elle a la peau métissée, elle est jolie, brune, et est accompagnée d’une petite fille. Je suis tellement occupé à rechercher dans mon esprit qui elle peut être, que j’en oublie de répondre. Elle doit le remarquer car elle précise:—Je suis la maman de Sarah.Je regarde la petite, mais ne la reconnais pas. Je m’en souviendrais si elle avait été dans mon école.—Je suis vraiment désolée de ce qui est arrivé, reprend-elle, ça a été très dur pour Sarah, elle adorait Eléanore et appréciait aussi be
Aussitôt la rentrée effectuée, je comprends qu’il me faudra changer d’école. Je me dois de tourner la page, car mes collègues, comme les parents d’élèves, me regardent toujours telle une victime, comme l’homme qui se retrouve seul. Seulement j’aurais dû y penser plus tôt, je viens de me réengager pour une année. Et je ne tiens pas à me remettre en arrêt. Je ne suis pas certain de pouvoir me relever de mois supplémentaires de solitude, cloîtré chez moi.Alors j’essaie de voir la vie d’une meilleure manière, je souris aux gens. Je me force, je ne me sens pas mieux, mais veux le paraître. Par contre, parler autant qu’avant m’est trop difficile, et après quelques essais navrants, je comprends que je dois me laisser du temps. Je reprends mes fonctions de professeur et me retrouve face à ma petite trentaine de CM2. Les débuts sont délicats, l’académie envoie une inspectrice afin de s’assurer que je suis bien apte à enseigner de nouveau. Une fois la semaine passée, elle repart surveill
Ma maison ressemble à un grand capharnaüm, les affaires de Célia et d’Eléanore jonchent le sol de toutes les pièces. J’ai les yeux humides, mais je tiens le coup. Je m’allonge au milieu des vêtements de ma femme et reste là un bon moment, peut-être des heures. Je me rends ensuite dans la chambre de ma fille, il y a des jouets partout, je les observe et tente de me représenter mentalement Eléanore parmi eux. Je la vois jouer, sourire, s’inventer des histoires comme elle adorait le faire. Je souris d’un air béat, à la regarder, à l’imaginer parmi tous ses jeux, ses poupées… Et je ne peux les retenir, je m’effondre en sanglots.Elles me manquent toujours autant, si ce n’est pire qu’avant. Je regrette tout à coup d’avoir ressorti toutes ces affaires et n’en peux plus de les voir. Je me précipite dehors, l’air frais me fait du bien, je me sèche les yeux et marche quelques pas devant la maison. Ces derniers m’emmènent sur le chemin, puis jusqu’à la route. Je ne m’arrête pas, un bois s
Plus le vendredi approche, plus je redoute mon rendez-vous avec Maud. J’annulerais notre rencontre si je le pouvais, seulement je ne connais pas son nom. Je peux probablement retrouver celui de Sarah si j’arrive de nouveau à fouiller dans les affaires de Célia, seulement je ne m’en sens pas capable. Et puis Maud étant divorcée du père de sa fille, il y a de grandes chances qu’elles ne portent pas le même nom.Pourquoi ai-je accepté de la revoir ? En soi, je n’ai rien contre, sauf que l’avoir prévu à un moment précis donne à notre prochaine entrevue des allures de rencard et je n’aime pas ça.Puis-je lui dire une fois sur place que je ne peux plus, prétexter un imprévu ?Je ne sais pas… Je ne suis d’ailleurs pas certain de le vouloir, car même si l’effet n’a pas duré longtemps, je me suis senti mieux après avoir discuté avec elle. Et je désire connaître la vraie raison de son insistance à vouloir me parler.*Probablement du fait que je le redoute, le
Depuis un an et demi, je n’ai jamais cessé de parler avec Célia, et elle me répond à chaque fois. Je ne doute pas que ses réponses soient le fruit de mon imagination puis de mon désir de l’entendre et d’échanger avec elle. Mais depuis hier et mon retour de ma balade avec Maud, Célia ne me répond plus. Mon esprit cherche à me faire payer, il ne me pardonne pas les quelques secondes durant lesquelles j’ai ressenti du désir pour une autre femme. Et je le comprends. J’en viens à espérer avoir réellement fait une erreur dans le numéro que j’ai donné à Maud, car je ne dois plus la revoir.Je range la bouteille dans le bac à verre, il s’agit de celui que je vide le plus souvent. Je regarde par la fenêtre, il a l’air de faire beau dehors, un froid sec et ensoleillé. Je prévois de me rendre dans le bois et y passer le plus de temps possible, avant de revenir m’enivrer ici.Un caleçon propre enfilé ainsi que mon jean de la veille, j’allume la cafetière, et pars à la recherche d’un
Nous sommes mercredi, il fait un froid de canard et je reste pourtant sur ma terrasse, à peine habillé, ne sachant pas ce que je cherche à me prouver. J’entends mon téléphone sonner à l’intérieur, alors je me lève et regagne mon salon pour consulter l’écran de mon portable. Est-ce son numéro ? Je m’étais interdit de lui reparler, pour autant, j’ai laissé mon téléphone allumé, alors que je le gardais éteint depuis des mois.—Allô ?—Ah, Adam, je suis heureuse de vous avoir.Oui, c’est bien Maud.—J’aimerais savoir si je peux passer vous voir, ajoute-t-elle.—D’accord, dis-je sans réfléchir.—Super ! 15 heures, est-ce que ça vous va ?—Où ? demandé-je.—Chez vous.—Vous savez où j’habite?—Avec internet, on trouve tout le monde.—OK…—Alors à tout à l’heure.Puis elle raccroche.Elle sait où j’habite, et surtout… elle va
Je me réveille sur mon canapé et à la vue de la lumière qui traverse les fenêtres, il doit être assez tard. Peut-être pas loin de midi. Je repousse la bouteille vide afin d’attraper mon téléphone posé derrière, sur ma table basse. Il est 12 h 24, je n’en reviens pas. Il m’arrive de traîner longtemps au lit, mais jamais d’y dormir profondément jusqu’à aussi tard. Maud doit revenir aujourd’hui, à quelle heure exactement ? J’espère qu’elle ne s’est pas présentée à ma porte pendant que je dormais, quoique… Non, pour dire vrai, je ne sais toujours pas ce que je souhaite ni ce que je pense réellement de cette femme. Mis à part que je la trouve terriblement attirante et que son sourire me déstabilise. Je sens que j’ai envie de la revoir sans en connaître les raisons exactes, et ces dernières m’effraient.Je regarde autour de moi.—Célia ? appelé-je.Je la vois passer de notre chambre à la salle de bains, furtivement. Je me lève, pour l’y rejoindre. Seulement comme à
—Voilà ce dont je vous parlais, s’exclame Maud.Son intervention a pour effet l’arrêt net de Sarah, elle nous repère dans l’entrée de la chambre et n’ose plus continuer.—Je jouais avec Eléanore, s’explique-t-elle.La maman s’approche de sa fille et la serre contre elle. Je reste quant à moi adossé à l’encadrement de la porte, comme paralysé. Je me concentre pour tenter de voir Eléanore, Sarah imaginait également sa présence.—Ça va ? m’interroge Maud.Sa voix me paraît lointaine, mon regard divague, je repense aux mots de la petite dans son jeu.—Elle fait toujours ça, continue la jeune femme, elle imagine que votre fille est avec elle.Je sens mes jambes fléchir, puis je tombe au sol. J’aperçois furtivement le regard paniqué de Sarah, juste avant que sa mère ne lui demande de se rendre dans le salon.Je craque, mes nerfs me lâchent et je m’effondre en larmes. Je ne sais pas ce qui m’arrive, incapable d’ex