ÉPILOGUEPalavas-les-Flots, un mois plus tard.Le soleil matinal de juillet tapait fort sur la terrasse de mon appart. J’étais planqué sous mon parasol géant, allongé les doigts de pieds en éventail sur ma chaise longue, un cocktail de jus de fruits frais à la main et les yeux perdus dans l’indigo infini de la grande bleue.Dieu que la vie est belle, parfois. C’est là où il faut savoir en jouir, parce que quand c’est le vrai merdier, c’est trop tard.Et ça, pour en profiter, j’en avais profité!Kassandra et moi avions passé ensemble les trente derniers jours. Elle m’avait fait visiter sa ville natale, Budapest, puis nous étions partis quelques jours dans les Cyclades, avant de rentrer en France en passant par la Sicile, la Sardaigne et la Corse. Sympa comme périple, non? C’est aussi ça l’avantage d’avoir un avion personnel. On regarde sur une carte où on aimerait bien aller, on saute à bord et deux ou trois heures plus tard, après un vol m
Aéroport de Montpellier, lundi 20 mai.Le carillon de la porte d’entrée tinta. Un homme d’environ cinquante ans entra, très grand, très mince, un visage en lame de couteau avec une mèche de cheveux blancs rabattus sur le front façon Adolf Hitler albinos, une paire d’yeux bleu métal dont l’intensité n’avait rien à envier à celle d’un rayon laser, un nez en bec d’aigle surmontant une moustache tombante à la Hulk Hogan, blanche elle aussi. Il était entièrement vêtu de jeans des pieds à la tête – veste, chemise, pantalon – avec une grosse boucle de ceinture en métal. Enfin, pour les pieds, non, c’était plutôt une paire de santiags.On dit que la première impression est souvent la bonne. Je crois bien que cet adage n’a jamais été aussi vrai depuis qu’il a été inventé.Ma première idée fut de me cacher sous le bureau sur lequel j’avais négligemment jeté mes jambes dans l’attitude nonchalante de décontraction naturelle qui est généralement la mienne, surtout quand je m’ac
1Et c’est comme ça que je me suis retrouvé à survoler l’Afghanistan.Vous connaissez la différence entre une zone bombardée par des B-52 et la Lune? Y’en a pas: c’est un no man’s land dévasté, farci de cratères à perte de vue. Remarquez, quand j’étais gamin, je rêvais de devenir astronaute. Finalement, c’était peut-être l’occasion ou jamais de concrétiser mon rêve de moutard: «Allo Houston? Ici le commandant Charlie Blues qui vous parle en direct de la navette Endeavour, je débute l’approche finale sur Valles Marineris.»Blang!Bon sang, c’était quoi, ça? Sûrement pas une météorite, plutôt un impact de balle. Pour confirmer mon idée, un splendide trou d’un diamètre de 7,62 millimètres perçait le plancher de la carlingue juste à côté de mon siège, adressant un clin d’œil à son jumeau dans le plafond. Décidément, ça commençait à faire beaucoup de jumeaux pour la semaine, vivement les vacances! Encore un de
2Ah Istanbul! Cité unique au passé riche d’une histoire qui se conjugue avec celle de l’humanité toute entière, carrefour incontestable et incontesté de cultures millénaires, porte historique entre l’Orient et l’Occident.Et ce Ritz-Carlton, quel délice! L’alliance parfaitement suave du charme oriental aux relents de parfums épicés et du confort incomparable de l’hôtellerie moderne de luxe. Quel endroit édifiant pour une rencontre romantique!Le cuir mou d’un confortable fauteuil du salon VIP épousait avec délicatesse mes formes fermes et musclées, tandis que je dégustais un Daiquiri délicieusement glacé, m’imaginant presque voir Shéhérazade débarquer, lorsque le colonel KKK fit son entrée et fondit sur moi, tel un rapace en phase terminale de piqué sur sa proie apeurée.– Vous avez la mallette?Je sentis un truc se briser en moi, je ne sais pas, une espèce d’innocence béatement crédule qui me faisait parfois voir la vie façon
3Ah! la Grèce! le Péloponnèse, les Cyclades, Andros, Kéa, Mykonos… noms magiques, synonymes de farniente illimitée à l’ombre de murs blanchis à la chaux sur fond de Méditerranée bleue à l’infini.Quel paradis, mes amis! Le chant des cigales, la peau bronzée des filles, un verre d’Ouzo à la main, que demander de plus?De l’argent? J’en avais. Du temps? Triple K m’avais laissé entendre qu’il ne me recontacterait pas avant une bonne semaine.Le paradis, je vous dis.J’avais posé la Bête hier soir sur le minuscule terrain de l’île de Skiatos, puis j’étais descendu au Madraki, un charmant petit hôtel, dont les chambres donnaient directement sur le port, une sorte de Saint-Trop en miniature.À croquer.La saison estivale n’ayant pas encore réellement commencé – on était en mai –, l’hôtel était vide au trois quarts, ce qui m’arrangeait bien: je déteste la foule.Je passai donc la majeure partie
4Le lendemain matin, rasé de près et vêtu de ma plus belle chemise blanche, d’un pantalon de lin bleu nuit et d’une paire de sandales de cuir, je descendis prendre le petit déjeuner, circonspect et prudent: pas le moment de se casser la gueule dans les escaliers. Je ne suis pas spécialement maladroit, mais ces dernières heures, je ne me reconnaissais plus.Donc mef.Je pris un thé, des tartines de feta et quelques excellentes pâtisseries tout en lisant le journal.Faut pas lire en mangeant, c’est mauvais pour la santé.Je sais, mais j’aime ça, désolé. Et puis je voulais prendre mon temps, tout en me donnant une contenance pour le cas où elle ferait son apparition. Ce qu’elle ne fit malheureusement pas.S’était-elle ravisée?Ou plus simplement, m’avait-elle oublié? À moins qu’elle ne se fut moquée? Non, ce n’était pas son style. J’envisageai une fraction de seconde de demander son numéro de chambre au garçon et de l
5La mer Égée se parait de mille reflets indigos entremêlés d’une palette de verts émeraude tous plus éclatants les uns que les autres, à mesure que les fonds sablonneux remontaient, près des îles ou des hauts-fonds. Nous volions depuis une bonne demi-heure lorsque je désignai une large montagne ocre surplombant l’île de Samothrace vers laquelle nous nous dirigions plein gaz.– Regardez, droit devant, c’est le mont Phengari.Elle était assise à ma droite, dans le siège du copilote et semblait apprécier pleinement le paysage sublime que l’altitude nous offrait à perte de vue.Je lui jetai un regard à la dérobée tandis qu’elle passait une main dans ses cheveux. Dieu qu’elle avait des gestes sensuels!«Reste concentré mec! C’est pas le moment de partir en vrille.»Je resserrai ma prise sur le manche, zieutai avec une insistance un peu trop marquée les instruments, puis le paysage aussi, droit devant, histoire de ne pas perc
6Le doux ronronnement des moteurs me berçait mollement tandis que la botte italienne disparaissait sous les ailes, laissant place au relief plus perturbé des Alpes.J’avais décollé tôt ce matin, l’âme aussi noire qu’un cumulonimbus d’un orageux soir d’été.Je n’avais pas revu Kassandra; elle dormait quand j’avais quitté l’hôtel et il n’était pas question de la réveiller. Pour lui dire quoi, d’abord? Que je traitais avec le Ku Klux Klan et la mafia russe?J’avais griffonné à la hâte un petit mot d’excuse auquel j’avais joint mon numéro de téléphone, avant de sauter dans un taxi. On peut toujours rêver, non?À la radio, le contrôleur massacrait joyeusement la langue de Shakespeare. Vous avez déjà entendu un Italien tenter de parler anglais? C’est à mourir de rire. Au moins, cela avait le mérite de me distraire de mes sombres pensées.La vie est dingue, non? Hier, j’étais le roi du pétrole sur une plage de rêve