4Le lendemain matin, rasé de près et vêtu de ma plus belle chemise blanche, d’un pantalon de lin bleu nuit et d’une paire de sandales de cuir, je descendis prendre le petit déjeuner, circonspect et prudent: pas le moment de se casser la gueule dans les escaliers. Je ne suis pas spécialement maladroit, mais ces dernières heures, je ne me reconnaissais plus.Donc mef.Je pris un thé, des tartines de feta et quelques excellentes pâtisseries tout en lisant le journal.Faut pas lire en mangeant, c’est mauvais pour la santé.Je sais, mais j’aime ça, désolé. Et puis je voulais prendre mon temps, tout en me donnant une contenance pour le cas où elle ferait son apparition. Ce qu’elle ne fit malheureusement pas.S’était-elle ravisée?Ou plus simplement, m’avait-elle oublié? À moins qu’elle ne se fut moquée? Non, ce n’était pas son style. J’envisageai une fraction de seconde de demander son numéro de chambre au garçon et de l
5La mer Égée se parait de mille reflets indigos entremêlés d’une palette de verts émeraude tous plus éclatants les uns que les autres, à mesure que les fonds sablonneux remontaient, près des îles ou des hauts-fonds. Nous volions depuis une bonne demi-heure lorsque je désignai une large montagne ocre surplombant l’île de Samothrace vers laquelle nous nous dirigions plein gaz.– Regardez, droit devant, c’est le mont Phengari.Elle était assise à ma droite, dans le siège du copilote et semblait apprécier pleinement le paysage sublime que l’altitude nous offrait à perte de vue.Je lui jetai un regard à la dérobée tandis qu’elle passait une main dans ses cheveux. Dieu qu’elle avait des gestes sensuels!«Reste concentré mec! C’est pas le moment de partir en vrille.»Je resserrai ma prise sur le manche, zieutai avec une insistance un peu trop marquée les instruments, puis le paysage aussi, droit devant, histoire de ne pas perc
6Le doux ronronnement des moteurs me berçait mollement tandis que la botte italienne disparaissait sous les ailes, laissant place au relief plus perturbé des Alpes.J’avais décollé tôt ce matin, l’âme aussi noire qu’un cumulonimbus d’un orageux soir d’été.Je n’avais pas revu Kassandra; elle dormait quand j’avais quitté l’hôtel et il n’était pas question de la réveiller. Pour lui dire quoi, d’abord? Que je traitais avec le Ku Klux Klan et la mafia russe?J’avais griffonné à la hâte un petit mot d’excuse auquel j’avais joint mon numéro de téléphone, avant de sauter dans un taxi. On peut toujours rêver, non?À la radio, le contrôleur massacrait joyeusement la langue de Shakespeare. Vous avez déjà entendu un Italien tenter de parler anglais? C’est à mourir de rire. Au moins, cela avait le mérite de me distraire de mes sombres pensées.La vie est dingue, non? Hier, j’étais le roi du pétrole sur une plage de rêve
7Et voilà comment je me suis retrouvé avec cinquante mille balles de moins sur mon compte et deux moutards sur le dos pour l’été.Ah! oui, j’ai oublié de vous dire, j’ai eu deux enfants avec Anita, deux superbes petites jumelles qui ont maintenant six ans et font la fierté de leur maman autant que de leur papa.D’habitude, on se les partage pour les congés, mais là, ma chère et volcanique ex-épouse avait décidé de prendre tout simplement deux mois de vacances.Ça ne m’arrangeait pas vraiment, mais dans la folie de la soirée précédente, j’avais dû lui dire «oui» pour ça aussi.Et quand on dit «oui» à Anita, on ne revient pas sur sa décision, non non! Elle a beau avoir le téton frémissant, elle a aussi la mandale fulgurante. C’est un vrai volcan toujours prêt à vous péter à la gueule, cette fille.Le soleil matinal se reflétait sur la surface lisse de la Méditerranée, inondant l’appartement d’une
8L’aéroport de Montpellier a cela de particulier qu’il est construit à moitié sur des étangs et qu’il est situé en bordure de mer. C’est un endroit plutôt sympa, à deux pas de la ville, mais entouré de nature et assez grand pour être international – enfin, européen.Il y a deux pistes, une pour les avions de ligne, une autre pour les avions plus petits.Mes bureaux et le hangar se trouvent en bordure de la piste secondaire, entre les deux aéroclubs, dans un coin, somme toute, assez calme.Je triais le courrier lorsqu’un crissement de pneus me fit dresser la tête. Je sortis sur le pas de la porte tandis qu’un colosse d’un noir d’ébène tentait de s’extraire péniblement d’une Jaguar XK 8 noire, elle aussi.Valentino Ashanti est une association assez improbable de deux patronymes aux consonances italiennes pour un physique du plus pur black. Valentino, mon associé, mon ami, mon frère et descendant direct de la tribu du même nom, des putains de guerriers
9Et c’est comme ça que je me suis retrouvé à survoler l’île de Malte.Vous connaissez la différence entre transporter clandestinement une personne sans passeport et la contrebandede marchandise? Y’en a pas. Dans tous les cas, c’est confiscation de l’appareil et minimum deux ans de tôle.Et là, je pratiquais les deux en même temps: Miss Karpov, plus sa mallette bourrée de billets, bons au porteur, divers titres de propriété et autres clés USB bourrées de fichiers compromettants. Le super pied, quoi!J’aime les guêpiers, c’est plus fort que moi, j’ai dû être apiculteur dans une autre vie.Ouais, sauf que les apiculteurs élèvent des abeilles.– Attachez vos ceintures, on se pose!– Ah bon? Tu nous largues pas en parachute?Il faudra que je le prenne au mot, Valentino, un jour, juste pour voir sa tête.Il vint s’asseoir sur le strapontin, juste derrière les sièges du cockpit, tandis qu
10Le lendemain matin, je décollai de bonne heure, autant pour profiter de la fraîcheur matinale que pour prendre un peu d’avance sur un trajet assez long, la route pour le Turkménistan n’étant pas directe puisqu’il faut éviter le survol du nord de l’Iran.Deux mille kilomètres à parcourir dans un vénérable bimoteur qui n’est pas un foudre de guerre, j’étais bon grosso modo pour sept heures de vol sans pouvoir lâcher le manche une minute pour aller se soulager.À première vue, ça peut paraître un peu embêtant, mais j’ai un truc: une gourde «spécial pipi».Quand elle est pleine, ma gourde, qu’est-ce que je fais? Je la vide par la fenêtre.Voilà pourquoi, de temps à autre, de pauvres Terriens ébahis lèvent les yeux vers le ciel en se demandant pourquoi il tombe des gouttes alors qu’il n’y a pas le moindre nuage à l’horizon.Je vous épargnerai les pensées qui trottèrent dans ma tête pendant toutes ces heures de vol. Je pens
11Avez-vous déjà été dans un hammam? Vous savez, ce truc plein de vapeurs irrespirables où on crève de chaud, où une brute avec des mains comme des battoirs vous tord dans tous les sens, vous malaxe à la limite de la déchirure musculaire et du défonçage de côtes.Remarquez, côté détente, ça vaut le détour. Je le conseille même vivement à tous les stressés du bulbe. On ressort de là vanné, mais alors vanné! Un coup à aller se coucher à sept heures du soir. Malheureusement, j’avais une soirée à organiser. Mais qu’est-ce qui m’avait pris d’aller me faire un hammam? Me restait plus qu’à aller me reprendre un café, plus une boîte de vitamine C.J’avais besoin d’un QG pour monter mon opération séduction de la soirée. La meilleure chose était de rentrer à l’hôtel. Là-bas, je trouverais toute l’aide nécessaire. Je sautai donc dans un taxi pour une autre partie de gymkhana effréné tendance suicidaire.Trente minutes plus tard, le réceptionniste m’a