8L’aéroport de Montpellier a cela de particulier qu’il est construit à moitié sur des étangs et qu’il est situé en bordure de mer. C’est un endroit plutôt sympa, à deux pas de la ville, mais entouré de nature et assez grand pour être international – enfin, européen.Il y a deux pistes, une pour les avions de ligne, une autre pour les avions plus petits.Mes bureaux et le hangar se trouvent en bordure de la piste secondaire, entre les deux aéroclubs, dans un coin, somme toute, assez calme.Je triais le courrier lorsqu’un crissement de pneus me fit dresser la tête. Je sortis sur le pas de la porte tandis qu’un colosse d’un noir d’ébène tentait de s’extraire péniblement d’une Jaguar XK 8 noire, elle aussi.Valentino Ashanti est une association assez improbable de deux patronymes aux consonances italiennes pour un physique du plus pur black. Valentino, mon associé, mon ami, mon frère et descendant direct de la tribu du même nom, des putains de guerriers
9Et c’est comme ça que je me suis retrouvé à survoler l’île de Malte.Vous connaissez la différence entre transporter clandestinement une personne sans passeport et la contrebandede marchandise? Y’en a pas. Dans tous les cas, c’est confiscation de l’appareil et minimum deux ans de tôle.Et là, je pratiquais les deux en même temps: Miss Karpov, plus sa mallette bourrée de billets, bons au porteur, divers titres de propriété et autres clés USB bourrées de fichiers compromettants. Le super pied, quoi!J’aime les guêpiers, c’est plus fort que moi, j’ai dû être apiculteur dans une autre vie.Ouais, sauf que les apiculteurs élèvent des abeilles.– Attachez vos ceintures, on se pose!– Ah bon? Tu nous largues pas en parachute?Il faudra que je le prenne au mot, Valentino, un jour, juste pour voir sa tête.Il vint s’asseoir sur le strapontin, juste derrière les sièges du cockpit, tandis qu
10Le lendemain matin, je décollai de bonne heure, autant pour profiter de la fraîcheur matinale que pour prendre un peu d’avance sur un trajet assez long, la route pour le Turkménistan n’étant pas directe puisqu’il faut éviter le survol du nord de l’Iran.Deux mille kilomètres à parcourir dans un vénérable bimoteur qui n’est pas un foudre de guerre, j’étais bon grosso modo pour sept heures de vol sans pouvoir lâcher le manche une minute pour aller se soulager.À première vue, ça peut paraître un peu embêtant, mais j’ai un truc: une gourde «spécial pipi».Quand elle est pleine, ma gourde, qu’est-ce que je fais? Je la vide par la fenêtre.Voilà pourquoi, de temps à autre, de pauvres Terriens ébahis lèvent les yeux vers le ciel en se demandant pourquoi il tombe des gouttes alors qu’il n’y a pas le moindre nuage à l’horizon.Je vous épargnerai les pensées qui trottèrent dans ma tête pendant toutes ces heures de vol. Je pens
11Avez-vous déjà été dans un hammam? Vous savez, ce truc plein de vapeurs irrespirables où on crève de chaud, où une brute avec des mains comme des battoirs vous tord dans tous les sens, vous malaxe à la limite de la déchirure musculaire et du défonçage de côtes.Remarquez, côté détente, ça vaut le détour. Je le conseille même vivement à tous les stressés du bulbe. On ressort de là vanné, mais alors vanné! Un coup à aller se coucher à sept heures du soir. Malheureusement, j’avais une soirée à organiser. Mais qu’est-ce qui m’avait pris d’aller me faire un hammam? Me restait plus qu’à aller me reprendre un café, plus une boîte de vitamine C.J’avais besoin d’un QG pour monter mon opération séduction de la soirée. La meilleure chose était de rentrer à l’hôtel. Là-bas, je trouverais toute l’aide nécessaire. Je sautai donc dans un taxi pour une autre partie de gymkhana effréné tendance suicidaire.Trente minutes plus tard, le réceptionniste m’a
12La salle du petit déj’ regorgeait d’odeurs appétissantes de thés parfumés, de pâtisseries doucement sucrées et de croissants chauds. Je m’assis à une jolie table tout de blanc nappée, près de la fenêtre et commandai un assortiment de bons trucs sentant bien bon.– Heu… dites donc, dans la bibliothèque du bord, vous n’auriez pas un livre de poésie, par hasard? glissai-je subrepticement à l’oreille du garçon qui me servait le thé.– Je me renseigne, Monsieur.J’eu le temps de déguster deux croissants au beurre farcis au miel avant que le loufiat ne me rapporte un livre de poèmes sur le voyage. C’était mieux que rien. Je le parcourus distraitement, sautai d’Apollinaire à Baudelaire, en passant par Nerval, puis, peu inspiré, je décidai d’attaquer une prose nettement plus laconique: celle du K.Je décachetai l’enveloppe et lus: «Apportez la mallette à la Valette.»Pour du laconique, c’était du laconique. Fidèle à lui
13Cinq heures plus tard, j’usai la gomme de mes pneus sur la piste de Milan et roulai jusqu’au parking affaires. Anita m’attendait sur le tarmac avec les filles. Je coupai les moteurs puis ouvris la porte arrière. Deux mini-tornades se jetèrent sur moi.– Papaaa!– Papaaa!Je les soulevai du sol et entamai la distribution de bisous avec la plus grande équité, condition sine qua non pour éviter les bagarres, la jalousie étant apparemment un vice intégralement transmissible de mère en fille; et ceci dès le plus jeune âge.Anita attendit que je repose les fillettes pour venir se jeter à mon cou. Elle était vêtue plus sobrement que lors de notre dernière rencontre. Quand elle sortait avec ses filles, elle faisait des efforts, ça se voyait. Néanmoins, même habillée d’un sac poubelle, elle ferait bander un mort. Je la serrai contre moi, nos langues s’emmêlèrent et mes mains se baladèrent. Avec Anita, je ne les commande plus, elles font ce
14John avait dressé une succulente table de petit déjeuner sur le pont de sa jonque, mais j’étais bien incapable d’avaler quoi que ce soit. Ce qui n’était pas le cas de Jean-Édouard qui engloutissait tartines, croissants et petits pains avec un entrain inquiétant.– Allez, ne faites pas cette tête, ça va s’arranger, vous verrez, me rassura John avec un large et chaleureux sourire.– Je n’en doute pas, mais j’ai quand même un peu les boules.– Ça passera, dit-il en bourrant sa pipe.Le Soleil au zénith faisait miroiter l’eau du port de mille reflets. Une légère brise ridait la surface chatoyante, créant de minuscules vaguelettes qui se brisaient en un doux clapotis contre les coques blanches des goélettes de bois qui nous entouraient.John avait placé une immense toile sur la bôme du grand mât qui recouvrait le pont comme un chapiteau et procurait une ombre rafraîchissante.Si ce n’était le bourdonnement incessant de la ville, le coin ét
15Nous étions tous les trois penchés sur un plan de la ville, étalé sur la grande table de bois du pont. Une lampe à pétrole posée dans un coin éclairait la scène de sa flamme jaune.– C’est là, dis-je en posant un doigt sur la carte.«Là» correspondait au quartier de Kandilli, sur la rive asiatique du Bosphore, dans le nord d’Istanbul. D’après le nom de la rue et le numéro, l’adresse en question semblait être coincée entre une ruelle et le détroit.– Hum! Je crois bien que je connais ce coin, annonça John en tirant sur sa pipe. J’ai remonté le Bosphore jusqu’à la mer Noire, le mois dernier et je suis passé devant. C’est un quartier résidentielassez chic, si mes souvenirs sont bons. Les habitations qui donnent sur la mer sont de vieilles maisons en bois du dix-huitième siècle. Elles ont toutes leur ponton particulier.– Vous croyez qu’on pourrait aborder par le détroit? demandai-je.– C’est même la meilleure solut