SolveigUn brouillard épais m’enveloppe. J’avance à l’aveugle, The White Side dans les mains.—Quelqu’un m’entend ?Une voix masculine me parvient.—Qui est là ? demandé-jeJ’ai du mal à respirer, je me sens oppressée, triste.Je répète ma question. Sans réponse. Je continue ma progression. Quelque chose me retient. Je me débats, mais ne parviens pas à me libérer. Je hurle à m’en briser les cordes vocales.L’homme m’interrompt:—Je m’appelle Erick, je suis perdu, je n’arrive pas à retrouver mon chemin, vous pouvez m’aider ?—C’est Solveig… Je vais venir !Mon cœur s’affole. Je me libère enfin et le cherche sans rien y voir. Je fouille, mais ne le trouve pas.—Solveig?Je suis projetée en arrière. Un sentiment de peur immense m’envahit.—Erick ! hurlé-je.**Je n’ai pas reçu de message d’Erick. Ce cauchemar doit être le résultat de mon
SolveigJe jette quelques pièces sur le comptoir et récupère le journal que je viens d’acheter. Camille a publié son article-enquête – et j’ai pour habitude de lire son travail.J’en profite pour aller dans le parc. Le chemin entre la presse et l’endroit où je compte m’installer n’est pas long. Je m’assieds au pied d’un arbre. Pas qu’il n’y ait pas de banc disponible à cette heure, c’est juste que je préfère ça. Je déplie le journal et me mets à lire. Un article m’attire l’œil. Il parle du suicide du chanteur d’un groupe très connu. Sa mort me touche, alors que je ne le connais ni d’Adam ni d’Ève. Je suis étonnée par ma réaction. J’ai tendance à vivre ce genre d’événements de très loin. Là, les souvenirs refont surface.Je me rappelle précisément quand j’ai eu leur premier album entre les doigts. J’habitais encore chez mes parents. Jeune adolescente, je mettais le son le plus fort possible sur la chaîne Hi-fi que j’avais trouvée dans une poubelle pas très loin de c
CamilleUn mail de la maison d’édition de L m’a informée hier qu’elle avait enfin accepté une interview. Le rendez-vous a été posé plutôt rapidement puisque je dois la rencontrer demain dans un café.Je relis les derniers articles parus à son sujet. Ils sont assez légers, cela me laisse une assez grande marge de manœuvre pour les questions.Je tapote nerveusement sur mon clavier. Efface. Recommence. Puis réussis finalement à préparer plus ou moins convenablement cette rencontre. Une chance pour moi d’avoir adoré ce livre.Cela m’est arrivé de devoir questionner un auteur dont je détestais les écrits et je me suis promis de ne plus jamais recommencer, ça s’est transformé en désastre et j’ai décidé de ne pas publier le résultat de cette entrevue.Je lance la radio sur mon ordinateur, des notes de piano sont crachées par les haut-parleurs. Je m’adosse à la chaise et arrête ce que je fais pour monter le son.«Une nuit je m’endors avec lui
SolveigIl est l’heure du rendez-vous – celui où j’assume au grand jour ma petite omission. Mes mains sont moites, ma bouche est sèche, j’ai envie de partir en courant. Aucun doute, je stresse.Je me suis installée à une table face à l’entrée, j’ai attrapé un journal qui traînait là et j’attends. Cachée. Jusqu’à la dernière minute. Il me semble qu’on pourrait entendre un saxo en fond, un solo. Qu’un narrateur pourrait raconter l’état d’esprit dans lequel je me trouve. Une voix à la Gabin. Une autre époque. Au lieu de ça, j’ai du Martin Solveig craché par des haut-parleurs de mauvaise qualité. Cam’ passe la porte. Elle tourne sur elle-même, ne me voit pas et s’installe elle aussi. Elle sort son ordinateur et mon livre. J’ai l’impression d’être une espionne à la regarder par-dessus mon journal. Elle commande à boire et je me dis qu’il est temps que j’y aille.Je pose mon journal et commence à me lever quand je réalise que mon amie est en train d’en faire de même. Ell
Solveig—Solveig?Je sursaute. Il m’a semblé entendre mon prénom venir de la cuisine. Si ça se trouve, Baptiste a encore cru qu’il pouvait entrer chez moi comme dans un moulin. Je me lève, prête à lui dire ce que je pense, mais trouve la pièce vide.—Il y a quelqu’un ?Pas de réponse. J’ai dû rêver.Dehors, encore cette purée de pois, on n’y voit pas à un mètre. Ravie de ne pas avoir à mettre le nez dehors, je rejoins ma couette et mon journal pour découvrir enfin les mots de Camille et les miens – ceux de L. Finalement, nous avons procédé par échange d’e-mails.**Je plie consciencieusement le journal et le pose à mes côtés. Il est temps.En composant le numéro de l’hôpital, une certaine appréhension m’étreint. Ma cadre peut me refuser mes vacances.Je fais ma demande, défends ma cause, elle m’accorde finalement deux semaines – pas une de plus – à compter de ce jour. J’ai bien vu que ça lui posait problèm
SolveigCe matin, je me suis éveillée avec l’impression de ne pas avoir dormi. Je n’ai fait qu’ouvrir les yeux à peine ceux-ci fermés. Pour regarder l’heure. Pour boire de l’eau. Pour penser au départ. Et puis j’ai fini par sombrer vers quatre heures du matin dans un sommeil bousculé par un rêve agité.À nouveau, j’entendais au loin la voix d’Erick. Cette fois, il gémissait, n’arrivait pas à parler. Je ne pouvais pas le trouver, car je n’y voyais rien. Et puis j’étais distraite par quelque chose ou quelqu’un. Je n’arrive plus à me souvenir. Seule la colère que je ressentais me revient. C’est un sentiment que je connais trop bien, même si je l’enfouis depuis des années. J’ai à nouveau commencé à la toucher du doigt, ces rêves me rendent dingue. À l’époque, elle était dirigée contre la terre entière. Contre celle qui m’abandonnait. Contre celui qui me cognait.Ce matin, je me suis éveillée avec l’impression de ne pas avoir dormi et j’ai prononcé son prénom. «Er
SolveigJ’ouvre The White Side et me mets à écrire, y laissant toute mon âme. Pour la première fois depuis que j’ai commencé à me déverser dessus, j’écris sur Baptiste et non sur Erick. Son soutien a beaucoup d’importance pour moi. Et une envie irrépressible de décrire mon ami, lui donner forme dans ce carnet me guide. C’est la fatigue qui me contraint à mettre fin à ce moment hors du temps. Je me sens étrange, cotonneuse. Mes cauchemars m’épuisent à tel point que je me réveille chaque matin encore fatiguée. The White Side retrouve ma table de chevet.Je m’inquiète un peu pour mes amis. C’était une drôle d’ambiance au St Patrick avant mon départ, pas de celles que nous avons l’habitude de vivre. Cam’ semble bien se débrouiller malgré la situation, Elise par contre… Simon semblait sortir de ses gonds. Et pourtant, sa tolérance a un seuil assez élevé.Je descends boire un café au bar de l’hôtel.Une femme est assise à une table à quelques mètres de moi. La pet
BaptisteAutour de moi tout est flou. Je me suis réveillé, préparé pour aller voir Kristin, et me suis retrouvé ici. Je ne reconnais rien. Il fait sombre – ça n’aide effectivement pas. En toute logique, ça ne devrait pas être le cas. Ma montre me serait bien utile – si elle fonctionnait. Je tape sur sa vitre, en vain. Je me demande dans quelle situation pourrie je me suis mis. Pourtant, je ne suis pas sorti, et depuis Kristin, je suis aussi sage – et sobre – qu’un moine tibétain.Le parquet sur lequel je marche craque. Une odeur de feu de bois me saisit, me rappelant la maison de mes parents – manquerait tout de même les cris de ces saletés de mouettes qui n’ont clairement pas encore fait la différence entre le jour et la nuit. Les murs de la pièce sont en pierre, une énorme armoire en bois massif à ma gauche jouxte une porte. Je fais un rapide tour sur moi-même, il s’agit d’une chambre. Un lit qui m’a l’air plus que moelleux – même si sacrément vieillot – trône au milieu