SolveigVoilà de nombreuses minutes que j’observe un simple numéro de téléphone enregistré dans mon répertoire. Nom de contact: Erwann. Contact qui ne me répondra plus. Je fixe son nom sur l’écran. Je devrais l’effacer, à quoi bon garder ce numéro.Je ne peux pas.Mes mains tremblent, je pose mon portable sur la table à côté de moi. Une tasse fume, j’ai machinalement fait couler un café, mais je crois que je ne vais pas pouvoir le boire.Debout.Clope.Appel à ma cheffe: «Je ne peux pas venir travailler. »Assise.Clope.Ce n’est pas la réalité. Pas encore, ça ne peut pas recommencer. Je ne vais pas y arriver. Pourquoi?Ma tête tourne, je m’allonge les yeux fermés.Son image.Non, trop dur.Debout.Clope.
SolveigJe l’ai rendu malheureux. Je l’ai fait souffrir. Je nous ai fait du mal, et c’est tout ce qui reste et restera. Je suis responsable du fait qu’il soit mort seul. Je l’ai délaissé. Je l’ai fui. Il s’est retrouvé éloigné de ses amis par ma faute.J’ai tout détruit.Où est ce foutu manuel qui explique comment ne pas souffrir?Je devrais savoir faire, je devrais avoir les clefs pour gérer le décès d’un proche. La vérité c’est que je ne sais pas. Que je me fais peur.Et si je faisais comme si ce n’était pas vrai?J’allume la télé, les images se succèdent, les films, les émissions idiotes. Je m’anesthésie. Puis je me prépare pour aller travailler, je suis d’après-midi. Au moins à l’hôpital, je n’aurai pas le temps de penser. J’affiche un sourire et relance la machine. Personne ne peut voir combien à l’intérieur je me sens abîmée, vieille. Et je culpabilise de me sentir aussi triste. Je n’en ai pas le droit. Il n’était plus mon con
SolveigIl n’y a rien de plus fort qu’un début ou qu’une fin. Le début d’une relation et sa fin. Le début de la vie et sa fin.J’ai mal. J’essaie de me contrôler. Je ne gère rien du tout. Ça m’assassine de l’intérieur. Des souvenirs que je refuse de voir resurgir essaient de s’insinuer. Je cherche des éléments du réel auxquels me raccrocher.Mon téléphone clignote.De: Cherche-Poux (Elise A.)Je pense à toi ma louloute. Quand tu seras prête, n’hésite pas. Je suis là.Depuis qu’Elise m’a appelée pour m’annoncer la nouvelle je n’ai plus décroché, ni à elle ni à personne. La plupart de mes amis ont opté pour le SMS, mais j’ai aussi des dizaines de messages vocaux que je n’ai pas la force d’écouter.Je ne suis sortie que pour aller bosser et faire mes courses et j’évite tout contact avec mes proches.C’est trop difficile. Il y a cette pesanteur dans ma poitrine. Depuis ce mardi-là, elle s’installe en moi. Je ne sais pas comment
CamilleAssise sur une chaise dans l’église, je lisse ma jupe sur mes genoux. Solveig n’est pas venue. Elle était trop mal à l’aise à cause de la rupture. Nous avons eu beau lui répéter qu’elle avait toute sa place, elle a refusé. Elise sanglote à ma gauche. Pierre est raide comme un piquet à ma droite. Je me penche en avant pour jeter un œil à Simon. Il regarde fixement devant lui, la mâchoire serrée et je n’arrive pas à voir Baptiste qui est à l’autre bout du rang.Le prêtre déblatère tout un tas de conneries que le principal intéressé n’aurait pas franchement apprécié, mais dont les parents ont besoin. Je déteste les églises, et ne parlons pas des hommages funèbres. Entendre le murmure des gens qui commentent l’enterrement de quelqu’un qu’ils ne connaissaient même pas, le placement du produit « Dieu » toutes les cinq minutes alors que nous sommes là pour dire adieu à quelqu’un qu’on aime. Et puis la réverbération fait que je ne comprends pas la moitié de ce qui est dit
SimonUne semaine que je peins sans relâche, la nuit. Le jour, je dors. Je suis complètement décalé, fracassé.J’allume une cigarette et m’affale dans l’unique fauteuil de la pièce qui me sert d’atelier. La lune est haute, c’est une belle nuit. Une belle nuit qu’Erwann ne verra jamais.Je me suis toujours dit que c’était une sacrée connerie, les éloges funèbres. Quand quelqu’un meurt, on ne se souvient que du bon. Il a dû en faire, des erreurs – je l’espère pour lui. C’est comme ça qu’on se construit, il paraît. En apprenant de ses erreurs. On les enregistre, on se les note dans un coin de notre tête pour ne pas recommencer. Je me demande si ce soir du 11 février en est une. Et si c’est le cas, pourquoi n’ai-je donc en tête que l’envie de l’appeler, la voir, la toucher à nouveau? Mes doigts glissent sur le cuir vieilli de l’accoudoir. Depuis que je vis ici, combien d’heures ai-je passées dans cette pièce? Sûrement plus que dans mon lit. Les murs qui éta
CamilleJe laisse Damien, l’inspecteur que je suis pour mon reportage, devant le commissariat et rentre à l’appartement. Il est bien gentil, un peu lourdingue. Il a un problème de vue, il confond systématiquement mes yeux avec mes seins. Pourtant on ne peut pas dire que j’ai été grandement dotée par la nature de ce côté-là. Pierre est en déplacement et ça m’arrange bien. Pas envie de faire des efforts. Puis les journées sur le terrain, ça vous flanque le moral à zéro.L’être humain est étonnant. Un animal n’est pas capable d’aller aussi loin. Les prédateurs mangent les proies, point. D’accord, le chat joue avec la souris avant de la mettre à mort. Mais un chat ne va pas aller filer des croquettes à un chien pour qu’il accepte de lui attraper une souris. Et un autre chat n’ira pas payer le double de croquettes au dit-chien pour qu’il lui amène la tête de la souris sur une pique. Même moi je me perds dans ma comparaison. L’être humain est pervers, c’est tout. Point à la lig
BaptisteIl y a deux matins, entre le moment où j’ai mis mon sucre dans mon café et celui où j’ai enfoncé ma cuillère dans le liquide noir. J’ai décidé que j’avais envie de tenter ma chance auprès de Kristin.J’avais mal à la tête du fait d’avoir trop consommé d’alcool la veille au soir pour m’anesthésier. Idiotie ! Si ça fout mal à la tête, pourquoi dit-on que ça anesthésie ?Je lui ai envoyé un SMS, puis j’ai bu mon café. Quand je l’ai eu fini, la réponse n’était toujours pas arrivée, donc j’en ai avalé un deuxième.Toujours pas. C’est là que j’ai recommencé à travailler. Dans la matinée, je suis venu à bout d’un dossier. Cela faisait deux semaines qu’il regardait fièrement le plafond.À la suite de quoi j’ai attrapé mon téléphone et cette fois-ci, elle m’a répondu.Ce qui me conduit à ce soir, où je traverse la ville sur mon trente-et-un. J’ai fait dans le kitsch, j’ai été acheter une rose chez le fleuriste du coin.Ce premier rendez-
SolveigObjet: RestaurantÇa te dit ce soir ?S.Je me suis enfin décidée. Après tout pourquoi pas ? Qu’est-ce que je risque de plus ? La vie m’a déjà bousillée, et à plusieurs reprises. Si je reste sur mes gardes, ça peut le faire. J’avoue que nos discussions sont une bouffée d’air frais. Je ne sais pas si je pourrais m’en passer à présent et j’ai un peu honte de me l’avouer. J’en plaisante avec lui. Il a pris beaucoup de place, envahit mes pensées. C’est assez incompréhensible puisque ce n’est pas une rencontre réelle. Je réalise que peu importe le fait qu’elle soit virtuelle ou non, nous sommes et restons des êtres humains. Sa présence quotidienne, c’est comme si nous nous voyions tous les jours.Objet: Soirée.C’est vrai ? Tu m’accordes enfin audience ?E.Objet: AudienceJ’ai envie de te voir et je suis dispo… si tu veux.SolveigObjet: HésitationJe ne sais pas trop…